C’est fait ! Début mai, j’ai enfin sauté le pas et basculé simultanément sur un smartphone Fairphone et sur le système d’exploitation /e/OS porté par la fondation /e/ et l’entreprise Murena, mettant en phase mes valeurs, mes préoccupations et mes actes.

Pourquoi un Fairphone ?

L’entreprise néerlandaise Fairphone conçoit des smartphones durables, réparables et fabriqués de manière équitable. Je vous invite à lire la page Notre impact de son site web, vous y trouverez moult informations sur les objectifs et les moyens qu’elle se fixe et ce n’est pas du bluff. En 2022, l’entreprise a obtenu le très exigeant label allemand Blue Angel pour le Fairphone 4, démontrant qu’il était possible de concevoir un tel matériel et de proposer sur une longue durée (plus de 7 ans) des pièces détachées et des mises à jour du système. 7 ans de support (et même 8 pour le Fairphone 5), cela tient du rêve chimérique quand on est habitué à la réparabilité anecdotique des produits des champions de l’obsolescence programmée que sont Samsung et ses concurrents, et aux 18 à 24 mois de support logiciel dont ils nous font l’aumône.

Mais Fairphone tient bel et bien ses promesses ; deux de mes amis ont déjà pu le vérifier. Après avoir commandé une pièce détachée, ils ont pu démonter leur smartphone et remplacer eux-mêmes la pièce défectueuse en suivant les tutoriels vidéos publiés par Fairphone. Cela va sans dire, Fairphone est bien évidemment à ce jour le seul fabriquant de smartphones à avoir obtenu le label Blue Angel.

Il est difficile d’être vertueux et irréprochable, Fairphone ne s’en cache pas et fait preuve au contraire d’une belle transparence dans ses bilans annuels d’activité, sur les écarts entre ses objectifs et la réalité. Vous pourrez vous en faire une idée plus précise en lisant la synthèse en français de son rapport d’activité pour l’année 2022 (ou le rapport complet si vous maitrisez l’anglais et s’il faut plus de 94 pages pour vous impressionner).

Proposer du matériel durable, réparable, aussi équitable que possible, en évitant autant que faire se peut, de s’approvisionner dans les zones de conflit, cela a un cout. Les prix de Fairphone sont donc sensiblement plus élevés que ceux de la concurrence à configuration matérielle équivalente. Vient un moment où il faut savoir ce que l’on veut et ce n’est pas forcément un problème de budget quand je vois l’argent que mettent pas mal de personnes dans leur smartphone (outil indispensable, qui doit répondre pour certains à un impératif d’excellence technique, mais qui est aussi et surtout, au même titre qu’une voiture, un marqueur social aux yeux de la plupart des gens qui investissent dans ces bijoux technologiques).

Si je pense tant de bien de Fairphone, pourquoi n’ai-je pas franchi le pas plus tôt ? Pour deux raisons :

  1. À mes yeux, un smartphone est par essence un matériel qui se casse, se perd et se vole très facilement. Il a longtemps été inconcevable pour moi de mettre beaucoup d’argent dans un tel appareil, dont je fais par ailleurs un usage bien plus modéré que la plupart de mes contemporains et dont j’attends beaucoup moins (quand je veux faire de belles photographies, je prends mon appareil photo reflex, pas mon smartphone). Avant le Fairphone 5, le smartphone le plus couteux que j’aie possédé était le Samsung J5, acheté 280 € en 2017. Autant vous dire que là, je viens de faire voler en éclat mon seuil psychologique. :)

  2. Au niveau écologique, le matériel le plus vertueux est celui qu’on n’achète pas. J’ai donc gardé aussi longtemps que possible mon Samsung J5. Il fonctionne toujours, son écran et sa batterie sont d’origine (sic !), et cette batterie tient encore deux à trois jours (pas de miracle ici : usage modéré veut dire décharge plus lente et recharge moins fréquente). J’aurais pu le garder quelques années de plus, mais sa configuration devenait trop étriquée pour certaines applications. Peu de développeurs se soucient de savoir si leur produit tourne sur du matériel « si vieux ».

Le 7 mai, après avoir pesé le pour et le contre pendant plusieurs semaines, j’ai cassé ma tirelire.

Changer de téléphone, c’était aussi pour moi l’occasion d’adopter un système d’exploitation alternatif, qui me faisait de l’œil depuis un moment, mais qui ne fonctionnait pas sur mon Samsung J5 : /e/OS.

Pourquoi /e/OS ?

Avec /e/OS, on touche à une autre de mes préoccupations majeures, le respect de la vie privée et la confidentialité des données personnelles. /e/OS est un Android « dégooglisé », autrement dit, dépollué de la couche d’applications propres à Google, qui collectent moult informations sur nos usages et les transmettent à Google. Mieux, /e/OS dispose d’un bloqueur qui neutralise de nombreux mouchards et évite de très nombreuses fuites de données personnelles à destination d’entreprises qui en font commerce ou en tirent un bénéfice indirect. La page d’information de ce bloqueur m’indique qu’en quinze jours, il a bloqué 310 fuites de données sur mon téléphone alors que, comme je vous le disais, je suis loin d’être un utilisateur compulsif.

/e/OS est un système d’exploitation libre, dont les dépôts sont publics et dont la documentation permet à toute personne qualifiée d’installer elle-même ce système sur son smartphone (s’il fait partie des 250 modèles supportés à cette heure). J’aurais très bien pu commander mon smartphone à Fairphone, puis installer moi-même /e/OS. J’ai préféré soutenir modestement la société Murena, porteuse du projet /e/OS, en lui commandant un Fairphone 5 avec /e/OS préinstallé. Il m’en a couté 70 € de plus, mais j’y tenais. Un ami m’a appris depuis qu’il était aussi possible de faire des dons. J’ai franchi le pas via Patreon.

Un Android débarrassé des surcouches propriétaires de Google et du constructeur (Samsung par exemple), ça change, voire ça perturbe un peu. Pour répondre aux besoins les plus courants, /e/OS propose des applications alternatives, piochées ici ou là, ainsi que des composants maison quand les alternatives n’existent pas ou ne répondent pas correctement au besoin. Par exemple, /e/OS propose le service microG en lieu et place de Google Play Services. microG a le double avantage de permettre l’installation des applications disponibles sur le Play Store sans compte Google, donc de manière anonyme, et de supporter des entrepôts alternatifs, tel F-Droid que j’utilise déjà depuis des années. /e/OS remplace aussi des outils de bas niveau, tels les clients NTP ou DNS, qui sont configurés par Google pour interroger ses serveurs alors que ces outils pourraient être plus neutres. /e/OS propose aussi un méta-moteur de recherche qui anonymise les requêtes envoyées aux véritables moteurs de recherche (Google, Bing…). Pour en savoir plus sur /e/OS et tout ce que font la fondation /e/ et Murena pour protéger notre vie privée et nos données personnelles, je vous invite à suivre l’une des conférences de Gaël Duval, l’initiateur du projet /e/OS et fondateur de l’entreprise Murena, par exemple celle qu’il a donnée en 2023 à Capitole du Libre : l’histoire derrière /e/OS et Murena.

/e/OS n’est ni parfait, ni exempt de défauts ou de bogues. C’est accessoire. J’ai désormais sur mon smartphone un système qui préserve ma vie privée et mes informations personnelles, c’est bien là l’essentiel.


Mise à jour 04/06/2024 : Lorsque j’ai reçu mon Fairphone 5, j’ai été dépité de constater que le partage de connexion par USB ne fonctionnait pas (fonction grisée dans les menus). J’ai trouvé sur le net un « vieux » message expliquant que le problème était imputable à un choix du projet LineageOS, dont /e/OS est un fork. Puis deux amis m’ont dit que le partage de connexion par USB fonctionnait sur leur smartphone. J’ai donc renouvelé mes tests avec deux câbles USB et deux PC différents, en vain. J’ai remarqué au passage que le partage de fichiers par câble USB ne fonctionnait pas lui non plus. J’en suis donc venu à envisager un défaut matériel sur le port USB de mon Fairphone. Un ami m’a invité à redémarrer mon système. Je l’avais déjà fait, mais n’ayant rien de mieux à proposer, j’ai éteint le smartphone, attendu quelques minutes, puis je l’ai rallumé. Et là, miracle, le partage de connexion réseau et de fichier par USB fonctionnent. Me voilà rassuré. Mais du coup, un simple redémarrage du smartphone après la mise à jour du système n’était pas suffisant. Il fallait l’éteindre.

Mise à jour 06/06/2024 : Entendons-nous bien sur ce qu’il faut comprendre par « protection des données personnelles ». /e/OS bloque les pisteurs et prend un certain nombre d’autres mesures pour limiter l’envoi de méta-données et de traces à des entreprises qui les collectent habituellement sans vergogne à notre insu. Mais /e/OS ne saurait nous protéger des fuites occasionnées par l’utilisation délibérée d’applications et de services. Si nous ne voulons pas que Meta analyse nos messages et relations, nous ne devons utiliser ni le réseau social Facebook, ni WhatsApp. Si nous ne voulons pas que Garmin ait une idée de notre géolocalisation, de vos activités physiques et de votre état de santé général, nous ne devons utiliser ni ses montres connectées, ni son application d’extraction de données, Garmin Connect. /e/OS entend nous protéger des autres, pas de nous-même. ;)

Si la sécurisation du terminal et de vos données prime à vos yeux sur l’utilisabilité de votre smartphone et votre capacité à utiliser un grand nombre d’applications courantes, si vous êtes prêt à faire les concessions qui s’imposent pour cela, je vous invite à considérer GrapheneOS en lieu et place de /e/OS. Les objectifs et priorités de ces deux systèmes ne sont pas les mêmes. Personnellement, je souhaite plus me protéger de la curiosité malsaine des GAFAM que des services de sécurité d’un pays qui a bien d’autres moyens de savoir peu ou prou tout ce qu’il veut sur moi.